La fée ou la sorcière

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La fée ou la sorcière

Dans le contexte actuel, se souvenir qu’on parlait au XIXème siècle de la « Fée électricité » est un peu baroque. Au passage, c’est une magnifique fresque de Raoul Dufy aujourd’hui exposée au Musée d’Art Moderne de Paris.

Si aucun droit d’auteur n’a été demandé sur cette expression, elle signifie bien que l’électricité apportait un progrès tellement considérable à l’humanité, que cela en devenait presque magique. Ce n’est pas tout à fait faux tant notre civilisation a été totalement modifiée par son utilisation dans tous les domaines de notre vie. 

Un magnifique roman de Barjavel, « Ravage », en 1943 (!) évoquait la disparition de l’électricité et le chaos qui s’ensuivait. Il est redoutable d’actualité.

A notre époque, et sous l’impulsion de quelques visionnaires, il est devenu évident que la seule solution pour décarboner la mobilité était de résolument s’engager dans la production de véhicules électriques. C’est vrai que, sur le papier, c’est génial.

Mais les préalables qui s’imposent sont nettement plus compliqués : production de l’énergie (nécessairement sans charbon), production des batteries (en attendant mieux) à base de terres rares hautement stratégiques, déploiement de bornes de recharges (partout et pour les camions, recharges à forte puissance), disponibilité, recyclage desdites batteries.

Et évidemment le prix.

Aujourd’hui, et par aujourd’hui, on veut dire « là, tout de suite, maintenant », la question se pose sérieusement. Parce que le prix de l’électricité est indexé sur le gaz, les prix s’envolent. Au Royaume-Uni, recharger sa voiture électrique va devenir plus cher que de faire le plein de gasoil. Les piscines ferment dans les villes françaises car la facture dépasse le chiffre d’affaires de l’opérateur gestionnaire.

A Bruxelles, on bataille autour du Règlement AFIR, qui vise à planifier le déploiement massif d’infrastructures de recharge avec des objectifs ambitieux.

En France, on planche sur la feuille de route décarbonation avec des objectifs tout aussi ambitieux. Si vous avez le malheur de vous interroger sur le fait qu’à de tels niveaux de prix, les clients (c’est-à-dire les transporteurs) ont un réel problème de confiance pour s’engager à acheter des véhicules électriques, car ils doutent de pouvoir les utiliser de manière rentable, on vous regarde presque de haut. En plus, de l’électricité, on n’en aura manifestement pas pour tout le monde puisqu’il faut devenir « sobre »...

Ce n’est pas politiquement correct d’exprimer quelques doutes : la situation est qualifiée de « temporaire », et de toutes façons, le progrès technique (qui ne s’arrête jamais) va forcément apporter des solutions à tout.

Pourtant, on reste dubitatif. On a des précédents. Ce n’est pas comme si on ne nous avait pas fait le coup auparavant. Dans les années 90, il fallait que toutes les voitures roulent au diesel. Avant qu’il ne soit résolument banni.

Plus récemment, l’engagement de nombreuses entreprises de transport vers la motorisation gaz est bien mal récompensé. Les véhicules restent sur parc, et certains transporteurs restent liés par des contrats d’engagement dont ils ne savent plus se dépêtrer.

On a beau vouloir rester optimiste, il ne faudrait pas que les choix technologiques d’une époque ne ressemblent à… une pomme empoisonnée.

Florence Berthelot

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