« Sans » pour « Sans »

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« Sans » pour « Sans »

Par un curieux hasard, dans un couloir de métro, deux affiches se côtoient. L’une annonce « Vous avez essayé le porc sans nitrites. Essayez le porc sans porc ». Celle d’à-côté vante « La capsule de café sans capsule ». Ouf, on a échappé à la capsule de café sans café. Et sans capsule non plus, mais ça ne va probablement pas tarder.

Une réflexion vous vient à l’esprit : soit l’afficheur est facétieux, soit le « sans » est à la mode. Essayez d’organiser un repas ces jours-ci et vous découvrez qu’entre les sans gluten, sans lactose, sans poisson ou fruits de mer, sans moutarde, ou sans sucre, vous auriez mieux de demander à chacun d’apporter son en-cas plutôt que de tenter des recettes consensuelles. N’oubliez pas au passage la bière sans alcool.

De même, avant, on avait la journée de la femme, des travailleurs, de la tartiflette ou de l’amitié. Maintenant, on a la journée « sans voitures », ou mieux encore « le mois sans tabac ». Bientôt, les routes sans camions ? Certains élus politiques semblent en rêver.

Ce doit être la fin de l’abondance. Dans des temps pas si anciens, on était dans une logique d’avoir plus : plus que ses parents, plus que ses voisins. Ou en tous cas, si pas plus, mieux.

Aujourd’hui, la devise est « less is more » en bon français. Moins c’est plus. Alors « sans », cela doit être beaucoup plus.

L’époque est-elle venue enfin de, non seulement moins consommer, mais comme dit dans le jargon « déconsommer » ?

L’ADEME surfe sur cette tendance dans sa dernière campagne télévisée où de braves clients sont dissuadés d’acheter qui un polo, qui une ponceuse par des « dévendeurs » qui vous disent que cela préserve les ressources de la planète.

Les réactions furent vives tant des commerçants que des organisations interprofessionnelles. Sur les réseaux sociaux en revanche, les tenants du bien se réjouissent bruyamment d’une telle antipublicité responsable.

Le problème c’est que le monde serait parfait si tout était si simple. En gros, arrêtez de consommer, et vous sauverez le monde. Et après, les usines et les commerces fermeront, des emplois seront détruits et de toutes façons, les gens n’auront plus les moyens de consommer.

A dire vrai, l’inflation fait tout aussi bien, voire même de façon beaucoup plus radicale.

Il faut aller jusqu’au bout et dire à quel modèle de société cela aboutira. C’est peut-être beaucoup moins sexy qu’on ne le pense. Et renoncer aussi au fondement de la croissance de notre pays (et de beaucoup d’autres) depuis des décennies : la relance par la consommation. Politique qui justifie nombre de dispositifs aussi divers que créatifs comme des chèques de 100 euros pour tout et n’importe quoi, des bonus pour faire rapiécer ses vêtements, des pass culture et on en passe.

Soyons clairs entre une surconsommation folle et inutile qui encombre notre vie et nos placards, et vide notre porte-monnaie et une pseudo déconsommation béate, il y a quand même de la place pour un peu plus d’imagination pour un vrai « développement durable ».

Si ces lignes peuvent sembler sévères, c’est parce que, d’expérience, il est exaspérant d’avoir à tenir ces arguments modérés face à des chantres de la décroissance, qui passent leur vie sur des réseaux sociaux avec un smartphone onéreux fabriqué en Chine ou en Inde et dont le mode de vie est très loin de leurs opinions….affichées. 

Comme le disait Rabelais, il y a cinq siècles : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». 

Florence Berthelot

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