Le Pont de l’Amour

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Le Pont de l’Amour

Si vous voulez pratiquer un exercice de diction efficace, répétez plusieurs fois et rapidement « Blagovechtchensk ».  Et si vous voulez briller dans les dîners en ville, expliquer que Blagovechtchensk est la capitale de l’Amour.

Il ne s’agit pas d’évoquer la « Carte du tendre » mais bien une région de la Fédération de Russie.

L’Amour est aussi un fleuve de Russie (tout comme le Don d’ailleurs ; l’un n’ira pas sans l’autre n’est-ce pas ?).

La Russie fait la une de l’actualité ces derniers mois pour bien autre chose que l’Amour. Cependant, une information un peu passée sous les radars est l’ouverture la semaine dernière du premier pont routier entre la Russie et la Chine reliant, justement, Blagovechtchensk à Heihe, ville frontalière chinoise.

Les premiers à l’emprunter furent bien entendu… les camions, malgré un coût de péage très élevé : l’équivalent de 150 euros pour un peu plus d’un kilomètre. La Russie y a investi 14 milliards de roubles et la Chine 4 milliards.

La création de ce pont va considérablement réduire les coûts de transport entre les deux pays, et augmenter leurs échanges d’environ 1 million de tonnes de fret par an.

Dans le contexte de bouleversements des équilibres mondiaux, le symbole derrière ce rapprochement entre les deux pays est fort. L’un est le leader sur nombre de matières premières, l’autre est l’usine du monde, et aussi un géant dans le numérique.

Ce pont est surtout le révélateur d’une accélération de la création de nouveaux corridors entre plusieurs pays.  Nous avons souvent parlé du grand projet chinois OBOR, One Belt, One Road qui vise à créer les nouvelles routes de la soie par des infrastructures routières, ferroviaires et maritimes, et aussi oléoducs et gazoducs, zones logistiques, réseaux de télécommunication. Mais l’Empire du Milieu n’est pas le seul à s’engager dans de grands projets.

Peu après l’inauguration du pont de l’Amour, la Russie et l’Inde ont annoncé l’ouverture d’une nouvelle route maritime entre le port d’Astrakhan et celui de Nhava Sheva (à proximité de Bombay), avec traversée routière en Iran.

Tout l’extrême Orient et l’Eurasie sont en jeu. De nouveaux corridors s’ouvrent, le marché mondial se réorganise sous nos yeux, dans une certaine indifférence occidentale. A moins que ce ne soit tout bonnement de l’impuissance qui ne dit pas son nom.

Depuis le début de la civilisation, la puissance des Etats a toujours été corrélée à la vivacité des échanges commerciaux qui généraient eux-mêmes la diffusion des idées et des cultures. L’effondrement des empires (romain, espagnol, britannique) a toujours trouvé sa source dans la perte de maîtrise de ces flux.

A la fin du XXème siècle, Francis Fukuyama, éminent chercheur en sciences politiques, avait modernisé les thèses existantes sur la « fin de l’Histoire ». Pour revenir sur sa position en 2018 notamment au regard de l’essor de la Chine.

Effectivement, non seulement l’Histoire n’est pas terminée mais elle évolue sous nos yeux à grande vitesse. Elle est illustrée par des camions roulant sur un pont.

Une Histoire d’Amour ?

Florence Berthelot

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