Aurore et crépuscule

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Aurore et crépuscule

C’est à croire qu’il n’y a pas de hasard. J’évoquais la semaine dernière à quel point on s’enrichit d’écouter de vrais experts. Et voilà que l’algorithme de Youtruc vous propose une interview de 3 heures avec un titre assez effrayant : « Effondrement : notre civilisation au bord du gouffre ? ».

La personne interviewée est Aurore Stéphant. Manifestement, elle dispose d’une certaine notoriété car elle est géologue ingénieure minière spécialisée dans les risques environnementaux et sanitaires. Qu’est-ce que ça coûte de commencer à écouter ? Dès le début, l’interviewer liste les besoins en minerais évalués par l’Allemagne pour la transition énergétique. La réponse tombe : « c’est délirant ».

Avec pédagogie, des malles de connaissances vous sont livrées sur ce que sont les mines, les volumes de minerais à extraire, les teneurs, les dégâts causés à l’environnement longtemps après leur fermeture, la fausse croyance sur le potentiel des minerais marins, le mythe de la « mine durable ». Il y a des rires (« pour ne pas pleurer » dit-elle), des digressions indispensables, des références entièrement de mémoire. C’est passionnant. On ressort de là plus éclairé, mieux informé…et sacrément perplexe.

Finalement, on le devinait, on le savait quelque part, on pressentait que quelque chose clochait. Maintenant, on a les preuves. En abordant la transition énergétique comme on le fait aujourd’hui, on génère, sur les 30 prochaines années, un besoin en métaux équivalent à ce que l’humanité a produit depuis l’Antiquité. Et 60 à 70% de ces besoins sont pour les véhicules électriques.

Or, la ressource n’est pas là. Pire, les impacts causés par l’extraction des matières premières peuvent s’avérer plus élevés que les impacts que l’on essaie aujourd’hui d’éviter sur l’environnement.

Alors de deux choses l’une : ou cette fille est complètement folle et il faut l’enfermer d’urgence parce qu’elle affole la population. Ou, et c’est relativement évident en l’écoutant, elle maîtrise parfaitement son sujet et il est urgent de l’écouter.

Plus grave, on en vient à se demander si ceux qui prennent les orientations aujourd’hui sont au courant ou pas. S’ils ne le sont pas, ils feraient bien de prendre des cours accélérés. S’ils le sont, alors on nous vend un mirage, lourd de conséquences sur nos vies, et nos économies.

Car, clairement, en voulant quitter les ressources fossiles en voulant exploiter plus encore de mines de métaux, on va dans le mur, sans particulièrement améliorer l’état de la planète.

Aurore nous dessine un avenir bien sombre à persister dans cette direction. Ses solutions sont alors forcément des solutions de …décroissance.

C’est là qu’on aimerait pouvoir débattre avec elle sur le mix énergétique, les autres propositions sur les carburants liquides décarbonés, les bio-énergies, en complément. On gagne toujours à écouter tous les spécialistes même si, dans un premier temps, ils nous donnent l’impression que toutes les voies connues sont sans issue, nous plongeant dans un état « entre chien et loup », un crépuscule où la visibilité est réduite.

L’urgence climatique ne doit pas être un prétexte pour se jeter, tête baissée, dans une direction qui pourrait être séduisante sur le papier, à ce jour, mais désastreuse à terme. Un peu comme cette boutade qui veut que, lorsqu’on est au bord du gouffre, ce n’est pas le moment de faire un grand pas.

Florence Berthelot

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