Benjamin Joigneaux : « À Bruxelles, j’ai compris que derrière chaque texte, chaque orientation, il y a un travail de conviction et d’influence ».
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FNTRmag : Les objectifs européens de décarbonation représentent un défi majeur pour les transporteurs. Quels sont, selon vous, les obstacles mais aussi les solutions à mettre en place pour les accompagner ?
Benjamin Joigneaux : Il est important de mentionner tout d’abord que la profession est pleinement engagée dans la décarbonation du transport routier de marchandises notamment dans la perspective de la neutralité carbone qu’il faudra atteindre en 2050.
Cette transition doit cependant s’effectuer de manière plus juste, plus pragmatique mais également plus durable. Il est important de considérer les effets que la transition peut avoir pour les entreprises notamment en matière sociales et économiques. C’est par exemple le cas concernant le prix d’acquisition d’un poids lourds électrique qui est actuellement 3 fois plus coûteux qu’un véhicule thermique. Il faut promouvoir la complémentarité du mix énergétique pour répondre aux différents usages et permettre l’accélération de la décarbonation sans idéologie et sans opposer les solutions.
Qu’en est-il du côté des infrastructures ?
B.J. : Nous sommes loin du compte en termes de mise en place recharge qui est un aspect primordial dans le développement de la technologie électrique au sein des flottes du TRM.
La transition énergétique doit se faire en collaboration avec tous les acteurs concernés, c’est-à-dire les constructeurs, les énergéticiens, les institutions locales et européennes mais aussi l’ensemble de la supply chain avec nos clients chargeurs.
Le Paquet Mobilité, adopté en 2020, a pour objectif d’harmoniser les règles sociales et économiques du secteur en Europe mais sa mise en place s’avère être compliquée. Quelles solutions envisageables pourraient permettre une bonne application du Paquet Mobilité dans le futur ?
En effet, ce Paquet Mobilité s’avère aujourd’hui essentiel pour renforcer la lutte contre le dumping social, des conditions de concurrence loyale, améliorer les conditions de travail des conducteurs et une meilleure application de la législation européenne.
Cependant, il est vrai que sa bonne application laisse à désirer. Ainsi, pour rendre le Paquet Mobilité réellement effectif, la FNTR demande notamment à ce que le nombre de contrôles soit intensifié, de qualité et de même envergure dans chaque État Membre. Pour ce faire, il faut instaurer une meilleure approche méthodologique en renforçant les connaissances des processus de contrôles de chaque État et promouvoir le partage d’informations. La coopération entre les autorités nationales et européennes de contrôle est centrale pour soutenir la bonne application des textes de manière harmonisée dans l’Union des 27.
Je regrette également la décision de la cour de justice de l’UE d’annuler la disposition obligeant le retour du véhicule toutes les 8 semaines dans son pays d’établissement. L'obligation de retour est essentielle pour garantir des conditions de travail bonnes et équitables aux entreprises de transport routier et à leurs conducteurs en Europe, pour lutter contre les pratiques de « pavillon de complaisance » et pour établir un bon équilibre entre les textes législatifs du Paquet Mobilité liés entre eux. Il faudra ainsi que la Commission européenne présente le plus rapidement une proposition législative pour réintégrer cette disposition.
La FNTR compte parmi ses adhérents environ 80% de PME comme celle que vous dirigez. Quels sont, selon vous, les principaux défis de ces PME aujourd’hui ?
B.J. : Parmi les principaux obstacles, je peux évoquer les objectifs climatiques ambitieux -peut-être un peu trop - de l’UE. En effet, et comme évoqué auparavant, l’acquisition de véhicules alternatifs représentent des investissements et des coûts élevés pour les PME, pouvant mettre sous pression les entrepreneurs qui disposent de moyens financiers limités. Irréalisable dans un contexte économique et fiscal instable et sans visibilité, où la pression tarifaire et la concurrence dérégulée de certains acteurs mettent à mal les trésoreries et la compétitivité de nos PME.
Enfin, la pénurie de conducteurs et l’attractivité du métier de conducteurs représentent un enjeu réel pour le futur du secteur. La pénurie pourrait atteindre 745 000 postes de conducteurs non pourvus en 2028 en Europe. C’est pourquoi le métier doit devenir plus attractif. Cela peut se faire à travers différents leviers : développer des perspectives d’évolution, accompagner les transitions professionnelles et les carrières longues, offrir de meilleures conditions d’accueil chez les clients et proposer des parkings sûrs et sécurisés.
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux adhérents de la FNTR pour les encourager à participer activement aux initiatives européennes de la fédération ?
B.J. : Aujourd’hui 80% de la législation nationale française provient de l’UE. L'Union européenne a instauré un marché unique favorisant la libre circulation des personnes et des marchandises, mais sa politique de transport a connu des évolutions significatives. Dans les années 90, elle était marquée par une forte libéralisation, tandis que ces dernières années, l'accent a été mis sur une régulation plus stricte du secteur notamment en matière environnementale. Dans ce cadre, la FNTR joue un rôle crucial en alimentant le débat au sein des instances européennes, grâce à son implication active et sa présence continue au cœur des décisions politiques européennes depuis plus de 25 ans. Il est donc important que les entreprises du TRM portent la voix du secteur à Bruxelles et soient actives dans l’élaboration des différentes politiques publiques européennes du transport en s’impliquant dans l’élaboration des positions de la FNTR. Nous avons besoin de nos adhérents pour porter la voix du pragmatisme de terrain !
Vous connaissez bien Bruxelles puisque vous y avez étudié et commencé votre carrière. Que gardez-vous de votre expérience dans la capitale européenne ?
B.J. : Bruxelles occupe une place particulière dans mon parcours. C’est là que j’y ai fini mes études, commencé ma carrière et découvert toute la complexité du projet européen. Travailler au sein des institutions européennes sur des dossiers liés à l’industrie ou à l’innovation a été une expérience fondatrice. J’y ai compris que derrière chaque texte, chaque orientation, il y a un travail de conviction et d’influence.
Être plongé dans ce processus m’a donné une conscience aiguë de la nécessité d’être acteur de la défense de nos intérêts. Dans le secteur du TRM, cette nécessité est vitale : notre activité, essentielle à l’économie européenne, est souvent au carrefour de choix politiques majeurs. C’est tout le sens du travail que nous menons avec Isabelle Maître, déléguée permanente à Bruxelles et à travers notre Bureau Commun, qui rassemble le BGL, la NLA et la FNTR pour parler d'une seule voix et peser sur les décisions.
Quel est votre vœu pour le futur ?
B.J. : Aujourd'hui, je suis convaincu qu'une nouvelle génération d’entrepreneurs du transport européen doit émerger. Au-delà des liens déjà établis, je souhaite renforcer les alliances avec nos homologues allemands et nordiques. Nous partageons une vision commune : défendre un modèle de transport responsable, innovant et compétitif. Ensemble, nous pouvons peser davantage dans les débats européens et contribuer à une Europe différente qui respecte nos entreprises, qui valorise son industrie logistique tout en affirmant sa souveraineté économique.